Avec un peu d'avance sur l'horaire annoncé, voici donc la suite.
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L’avantage, avec le réveil tous les matins à 4h00, c’est que ça simplifie considérablement l’organisation des soirées… Retour au camp à 18h30. Courses, douche, bière sur la terrasse qui surplombe l’immense lit de la Sabie River, où l’on entend les animaux barboter sous les étoiles… (Si les onze Allemands à la table d’à côté ne rigolent pas trop fort !). Casse-croute, et au lit à 20h00 !
Ce matin comme hier, départ à la lueur des phares, et au ralenti pour scruter les fourrés.
Hier, la BFK m’a fait le coup de la tortue-léopard. Elle me doit une revanche !
Il est 5h00, le Kruger s’éveille…
Cette fois, je n’ai pas à rouler longtemps. Ni à me crever les yeux en fouillant l’obscurité. Le fauve surgit.
Il traverse la route devant moi. Sans hâte. De cette démarche royale et totalement indifférente qui me laisse penser qu’il pourrait tout aussi bien s’installer au milieu de la route pour faire sa toilette, s’il voulait.
Je suis au volant. Sur le siège passager, comme tous les matins, mon Canon 500D à capteur APS-C avec le 300 mm f2.8, et le 5D MkII avec le bon vieux 100-400 de Canon, surmonté du flash à cette heure-ci . (Ce 100-400 est aux longues focales à peu près ce que le Toyota Hillux est aux 4x4. Le compromis universel solidité/qualité/souplesse d’utilisation).
Le temps que je mette la voiture en travers, que je saisisse l’appareil et que je pose le zoom sur le bean-bag, et le fauve s’est engagé sous les branches basses.
J’ai le temps de shooter une seule fois :
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Je souffle !
Yeeeeeeeeeeees ! Le premier léo de ma vie en self-drive. Au deuxième jour. Et pour moi tout seul.
Temps de vision : une quinzaine de secondes maxi. Réussite photo : néant. Mais y’a des premières fois, comme ça, dans la vie, où c’est nul, et ou pourtant on est l’homme le plus heureux du monde… (Riez, riez, les filles, mais les mecs savent de quoi je parle).
Il est 5h15. Et j’ai le réflexe qui tue. Encore tout émoustillé, je prends sur mon… GPS les coordonnées-du-point-où-mon-léopard-vient-de-disparaître-dans-la-brousse. Là, j’entends dans mon dos la BFK éclater de rire, et avec elle tous les ancêtres de tous les pisteurs africains depuis des siècles. Pas grave. Même pas honte.
Je sais, pour en avoir parlé hier avec un guide, que les léos viennent de la brousse, descendent vers la rivière pour boire, et remontent souvent quelques minutes plus tard, retraversant la route. Je coupe donc le moteur et j’attends. Un œil devant et un autre dans le rétro. (C’est une technique que le caméléon d’hier m’a apprise : dissociation des deux yeux !)
En vain.
Une vingtaine de minutes plus tard, un couple arrive à ma hauteur en voiture. Ils ont vu un léo remontant de la rivière à trois ou quatre cents mètres derrière moi. Peut-être le mien…
Je reprends ma quête. Après tout, il me reste treize heures avant de rentrer au camp. Ce matin, je verrai aussi des lions. Une vision très « Kruger ». A travers les branchages. Mise au point manuelle de rigueur, l’autofocus fait la gueule dans ces conditions-là.
Evidemment j’appuie sur le déclencheur, pour le plaisir. Pour pouvoir dire que je les ai vus.
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De toute façon, je suis là pour les léo, pas pour les lions…
Et puis soudain, sans préavis, c’est un autre type d’émotion.
Un gros mâle éléphant descend vers moi depuis le talus.
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J’avoue avoir raté quelques photos d’éléphants dans le passé parce que je suis parfois plus soucieux de mettre la voiture en position de fuite que de réaliser le cliché parfait. J’ai vu suffisamment de vidéos et de photos de véhicules retournés par ces pachydermes pour savoir qu’il convient de les respecter .
Mais là, je suis seul, et surtout je tiens la contre-plongée idéale pour rendre en image la puissance et la masse de l’animal. Celle-là, je ne la laisse pas filer.
J’ai en tête depuis longtemps une photo que j'ai envie de faire: un gros plan d’éléphant avec un œil unique, pile au centre de l’image. Un cyclope du bush aussi impressionnant que celui d'Ulysse. Je tiens l’occasion.
Je laisse pépère s’approcher.
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Dans mon viseur, j’ai soudain la sensation d’avoir en face de moi une muraille, qui obscurcit le ciel tout entier. Une pensée me traverse l’esprit : « Celle-là, je la mettrai en 16/9 pour rendre cette impression».
La voici :
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Cette image, je vais pas la mettre sur la galerie critique, croyez-moi! J'en suis trop content. Pour entendre Francky me dire; "Ah non, encore une photo émotion - Allez hop, deux défenses!". Pô question! (Mais non Francky, je rigole
, j'adooore tes critiques constructives)
Oui, C'EST une photo émotion. Et une sacrée, même...
La journée coule au rythme des rencontres. C’est incroyable comme on ne voit pas les heures passer, seul dans le bush. Je vais parcourir, durant ce séjour, 130 km par jour en moyenne, à raison de quatorze heures de game drive quotidiennes.
Je pars du principe que, comme bien d’autres animaux, les léopards ne sont pas actifs aux heures les plus chaudes. (Erreur, on en reparle dès demain…) Mais du coup, je prends l’après-midi une boucle plus large qui m’éloigne de la rivière, et traverse une zone de savane arborée. Les chances de débusquer un léo sont plus faibles. Mais quel soulagement après les heures de bush épais. Enfin ma vue porte à plus de 10 mètres !
Je croise un guide qui vient de montrer à ses clients un guépard. Je l'ai apparemment raté de deux minutes. Il m'apprend que deux frères vivent et chassent dans cette zone et qu'on peut les voir assez régulièrement. Je passe la fin d'après-midi à arpenter au ralenti les pistes sablonneuses en tournant en rond, mais la BFK n'est pas d'humeur... Je me promets de revenir par ici dès que l'occasion de présentera.
En attendant, à défaut de prédateurs, j'ai droit à une autre première dans ma vie : deux outardes de deux sous-espèces différentes, que je n’avais jamais vues.
Outarde de Kori, le plus gros oiseau du bush après l’autruche. (Jusqu'à 1,40 m et 18 kg, mais celle-là était plus menue):
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Et une outarde à ventre noir , avec un mouvement à trois temps, ainsi décrit par le redoutable guide Sasol, la Bible des ornithologues sud-africains:
"En période de parade, le mâle lève lentement la tête...
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... lâchant un
"Tchikkkk" aigu...
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... puis replie son cou pour émettre un
"pop" grave."
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Merci Sasol.
Et c'est donc sur ce
Tchikkk-pop, dont l'écho se perd dans la savane au coucher du soleil, que prend fin le deuxième jour de ma traque du léopard.
A suivre/