le 27 Mars 2010 à 22:28:00 10313 Vues
La onzième interview de Colors Of WildLife est consacrée à un photographe passionné d'ornithologie et amoureux du Kenya.
Focus sur un COWpain
Bruno Schmetz (Art Vandelay)
Né en Belgique, aux pieds du plateau des Hautes Fagnes, la nature et les grands espaces ont toujours fait partie de la vie de Bruno.
Sa première expérience kenyane en 1993 est toutefois l’élément déclencheur de 2 intérêts complémentaires : la photographie et la passion de l’Afrique. Sa connaissance des cultures, du terrain et sa passion pour l’environnement se sont nourries des ces séjours fréquents. La photographie est un moyen pour lui, de tenter de sensibiliser ses nouveaux compatriotes aux défis rencontrés par les écosystèmes qui le passionnent tant.
Nous le remercions, vivement d'avoir accepté de se prêter à cet exercice avec beaucoup de gentillesse et d’implication.
COW – Bruno, tu es bien connu sur Colors Of WildLife, sous le pseudo d’Art Vandelay. Membre depuis le 18 Juillet 2006, tu as été Cowardé en début d’année 2010 « Expert en Piaf », pour tes incroyables connaissances ornithologiques, ainsi que « Caracal d’or » pour ton superbe reportage sur ce mythique félin, rencontré dans le Mara. Certes, on te connait… Mais peux-tu nous tracer brièvement ta présentation ?
BS - Né avec la conquête de la Lune (40 ans déjà…), j’ai eu la chance d’avoir une famille qui s’est toujours intéressée à l’environnement sous une forme ou une autre. Nos dimanches en famille, pendant des années nous ont conduits à découvrir les Ardennes et les Hautes Fagnes en Belgique. Après des études de logopédie (audiophonologie pour les amis d’outre Quiévrain), j’ai sillonné l’Afrique et une partie du Moyen Orient à la rencontre des communautés de pêcheurs traditionnels et des plaisanciers… Pour leur vendre des moteurs hors-bords. En 2001, une autre opportunité s’est présentée à moi et je me suis retrouvé à commercialiser des équipements de production télévisuelle au Moyen Orient. Depuis 2007, mon employeur m’a demandé de développer la branche ‘MiddleEast’ à partir de Dubai. J’ai découvert l’Afrique en 1993 et j’ai donc eu la grande chance d’y travailler pendant 6 ans. Mes meilleurs souvenirs sont les visites effectuées (entre 2 coups d’état) en Sierra Leone et au Liberia ainsi qu’en Ouganda et à Madagascar (énorme coup de cœur). Les voyages photos se partagent entre l’Afrique (80%) et d’autres pays du monde… Amérique du Sud, Inde, Sud-est Asiatique, Nouvelle Zélande et Europe du Nord. Je suis partisan des voyages en très petits groupes et en totale autonomie… Même si rien n’est plus confortable que de travailler avec un guide-chauffeur grâce auquel 100% du temps et de l’énergie peut être consacrée à la photo et à la découverte de la nature. Depuis l’été 05 tous mes voyages au Kenya ont été organisés en collaboration avec Bernard Kihungi, ami / guide-chauffeur free-lance qui a travaillé sur des projets cinéma du type ‘Constant Gardener’ et ‘The White Massai’ Monique, Ma compagne de longue date (nous avons découvert le Kenya ensemble en 93) vient (enfin) me rejoindre à Dubai en septembre prochain…
Voilà pour les présentations :-)
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COW – Comment est né ton déclic pour la photo nature ?
BS - Lors de ma première visite en Afrique, (au Kenya en 1993, 10 jours de safari – 5 jours de plage) un oncle m’a prêté un Canon AE-1 et 2 optiques (28-80 et 70-210). 5 bobines de film plus tard, le virus était bien installé. Au retour, je suis allé voir Franck Renard (qui deviendra un de mes amis les plus proches) qui revenait d’une mission en Tanzanie avec la fondation Ushuaia (guidée par MDH). Il a fait preuve d’énormément de patience et de sollicitude. Il se plait à dire que je lui dois tout… C’est un peu vrai, mais attention, s’il faut, je peux balancer ;-)
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COW – Les oiseaux n’ont que peu de secret pour toi. D’où tiens-tu ce talent ? Comment cette passion pour la gente ailée est-elle née et comment as-tu acquis tant de connaissances à son sujet ?
BS - C’est à nouveau une question de rencontres. Suite à l’amitié naissante avec Franck Renard, il m’a présenté à ce qui allait devenir le noyau dur des voyages nature : Serge Sorbi, Jean Hupperetz, Fabrice Sente, Eric Leprince. Tous membres (et administrateur pour certain) très très actifs au sein d’AVES, association de protection de l’avifaune. Je n’ai jamais été aussi actif qu’eux, mais leur contact, les voyages en commun (du week-end en Zélande aux 3 semaines en Inde ou aux affuts aux grues en Suède) l’intérêt pour les oiseaux a grandit peu à peu. Evidemment, mon centre d’intérêt se porte sur l’avifaune africaine et j’avoue d’énormes lacunes sur les oiseaux du Paléarctique… Si j’osais omettre de le mentionner, ils ne se dérangeraient pas pour balancer à leur tour… Tous nos voyages ont une forte connotation ornithologique et la découverte d’une espèce ou sa détermination est devenue un vrai jeu entre nous. Croyez-moi, une saine compétition avec Kramer, Newman, Pudro, Fantomas, PM (tous membres pas très actifs de COW !) aide à étoffer les connaissances… Et à se construire une carapace pour supporter les moqueries et insultes (si si, ça arrive !) quand on se trompe.
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COW – D’ailleurs, quels conseils donnerais-tu à un néophyte pour progresser dans l'identification des oiseaux ?
BS - Ne pas hésiter à participer à des sorties organisées par des associations du type AVES, LRBPO… C’est au contact d’ornithologues de terrains que la passion se transmet. Pour ce qui est de l’Afrique, la plupart des guides-chauffeurs sont assez bons dans ce domaine pour peu qu’un dialogue s’établisse. Et surtout lire, observer, observer et encore observer.
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COW – Quel oiseau rêves-tu de photographier un jour ? Ta quête de Graal à plumes, en quelque sorte.
BS - Je ne fais pas de fixation particulière, mais pour l’Afrique, le Crowned Eagle, la Pel’s Fishing Owl et l’African Finfoot sont des espèces que j’ai déjà observées mais jamais photographiées. Les bush-shrikes et les cuckoo-shrikes sont également des espèces que j’aimerais photographier dans de bonnes conditions… Mais il faudrait consacrer un voyage uniquement à ces espèces et sans certitude de réussite… ! Et les jours de congé ne sont malheureusement pas extensibles…
COW – Quel pays, et tu en as visité pas mal t'a t'il le plus ébloui par son avifaune ?
BS - Le Kenya. De la côte à la haute montagne en passant par les différents types de savanes, la diversité et le nombre d’espèces sont effarants. Hors Afrique, le Venezuela, l’Inde et la Nouvelle-Zélande resteront des destinations fabuleuses à mes yeux.
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COW – Toi qui aime particulièrement le Kenya, quelles sont tes réserves préférées et pourquoi ?
BS - Aucune des réserves ne m’a jamais déçu. Mais si je dois créer un top 3, voici :
TsavoWest : en ce qui me concerne, premier contact avec l’Afrique. En général on y passe qu’une nuit en transit vers (ou venant d’Amboseli) alors que la deuxième plus grande réserve du Kenya mérite vraiment de s’y attarder. On peut tout y voir et on peut en rentrer totalement bredouille. C’est un des plus beaux endroits du Kenya et il faut vraiment connaître les animaux (et avoir un minimum de chance) pour obtenir de belles observations.
Shaba : ou comment se retrouver seul au monde à quelques centaines de mètres de Samburu et Buffalo Springs qui commencent à être sérieusement surexploitées. La diversité des paysages est exceptionnelle et la faune ne l’est pas moins.
Aberdares : l’endroit où tout peut arriver. Des paysages à couper le souffle et des espèces, oiseaux et mammifères, adaptés aux conditions d’altitude.
Toutes les autres réserves sont très proches de ce top 3.
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COW – Quel est ton Big Five d'animaux africains préféré (toutes espèces confondues) ?
BS - Je ne vais pas être très original… Mais les félins sont évidemment dans le top 5. Avec une petite préférence pour les ‘petits’ félins : Caracal (ben voyons ;-)), Serval, Wild Cats… Les rencontres avec les lycaons sont toujours merveilleuses. J’aime particulièrement les espèces moins documentées : Ratel, Hyène rayée, les mangoustes en tout genre. Les antilopes timides et forestières… Et évidemment les oiseaux. Si un Big Five doit être établi : Caracal / Ratel / Lycaon / Bushbuck / Léopard… Mais tous les autres sont très proches de ce Big 5.
COW – Toi qui réside à Dubaï, qu'en est-il de la sensibilité à la nature et à la protection de l'environnement des Emirats et autres pays du Golfe ?
BS - Il faut véritablement séparer 2 aspects : les terres et les mers.
Les terres ont malheureusement été sacrifiées sur l’autel du développement et du profit. Tout le monde a entendu parler de Palm Island… Hé bien une deuxième a été développée à une vingtaine de km au sud-ouest de la première (je dis bien deuxième, car une troisième est en projet à 30-40 km au nord est). La zone entre ces 2 réalisations, était une merveilleuse réserve ornithologique accueillant quantité de migrateurs (dont les superbes Crab Plover). Cette réserve a aujourd’hui totalement disparu. Dubai est célèbre pour sa ‘Creek’, bras de mer se terminant par une immense mangrove. Il y a quelques années, un promoteur a obtenu une licence pour développer une immense zone résidentielle en bordure de cette Creek et de creuser un canal supplémentaire la reliant au Golfe (pour permettre le passage de bateaux de plaisance)… Une étude environnementale ‘prouvait’ que ce projet n’allait en rien changer le biotope de la région… Hérésie, bien sur : rien que l’apport d’eau via le canal modifierait la balance fragile de l’écosystème de mangrove. Heureusement, la crise et quelques enquêtes de police à propos (d’énormes) pots de vin ont annule le projet… Mais pour combien de temps ?? Le Qatar, Bahrain et même l’Arabie Saoudite (projets de développement de zones résidentielles à Jeddah sur la Mer Rouge) suivent le (mauvais) exemple de Dubai. En fait, les projets pourraient être réalisés dans de meilleures conditions, avec plus de respect pour l’environnement (dans le sens large du terme) mais la règle dans cette région est la suivante : « plus vite et plus grand que le voisin ».
Au niveau des mers, par contre, les autorités sont très très strictes, la pêche artisanale étant une des activités historiques de tous les pays de la région, les écosystèmes marins sont très très protégés et très bien étudiés. Les côtes du Sultanat d’Oman et de l’Emirat de Fujeirah sur l’Océan Indien sont toujours relativement sauvages et très visitées pas les grands mammifères marins. Tout n’est pas négatif pour autant, Certains programmes de sauvetage d’espèces menacées (ou disparues dans la nature) ont été de francs succès : L’Oryx d’Arabie et été réintroduite dans certaines régions très éloignées des centres urbains, l’Outarde Houbara est maintenant considérée comme symbole national, après avoir été presque rayée de la carte suite a la sur-chasse … Au faucon ! Récemment, des guépards auraient été aperçus entre les Emirats. L’Arabie Saoudite et le Sultanat d’Oman… Il y a donc de l’espoir :)
COW – Quelles sont tes focales de prédilections ? Quel matériel emportes-tu au Kenya (boîtiers et optiques) ? Pour le Masaï Mara et les Aberdares par exemple.
BS - Boitiers et optiques Canon : 1D MarkII et 1D MarkIII / 16-35 / 28-70 (Sigma) / 100Macro / 100-400 / 500 et un fabuleux Fuji Finepix F200 comme bloc note… Pour les Aberdares, un 70-200 très lumineux est un excellent outil… J’y pense.
COW – Quels sont tes goûts en matière photographique (sujets, style d'image, animaux dans leur environnement, portrait, graphisme, ambiance...) ?
BS - J’aime les lumières difficiles, contre-jours, basses lumières, crépuscule, pluie, ciels plombés… Je trouve que ça apporte une dramatique supplémentaire à l’image. Bien sur, les belles lumières rasantes sont superbes, mais si je dois me trouver un style propre, j’irai plutôt vers la pluie et les basses lumières. Je préfère également essayer d’intégrer un élément du biotope dans mes photos. Les ambiances (plus que le graphisme) me plaisent également… Même si rien ne remplace les cinq sens pour profiter d’une vraie ambiance.
COW – Peux-tu nous présenter un photographe professionnel animalier, dont tu affectionnes le travail ?
BS - J’aime le travail de Vincent Munier que je connais depuis ses premiers lauriers à Montier-en-Der. MDH et Tony Crocetta sont incontournables… Tui de Roy (Néo-Zélandaise d’origine belge) pour son travail sur les Galapagos et la Nouvelle Zélande… Bien sur les frères Anup et Manoj Shah. La sud-africaine Ariadne Van Zandbergen (Continent of Contrasts), le couple Daryl et Sharna Balfour, toujours d’Afrique du Sud… Et celui qui a été mon premier modèle : Hugo Van Lawick, Monsieur Jane Goodall.
COW – Toi qui as participé à l’Aventure Afrique Terre de Couleurs (Volet Colors Of WildLife), dont tu as été l’heureux gagnant avec ton image de Cercopithèque à diadème, sous la pluie au Mont Kenya… Peux-tu nous livrer ton sentiment sur cette aventure ?
BS - Je suis heureux d’avoir fait partie de la première aventure ATDC. Je suis sur qu’elle sera suivie de beaucoup d’autres mais l’édition originale aura toujours un petit goût particulier. Je suis ébahi par la somme et la qualité de travail abattu par le comité organisateur. Je suis content d’avoir participé à tous les topics car cela m’a permis d’évaluer mes images en général avec un peu plus de recul. Après les verdicts, il était intéressant d’essayer de comprendre les motivations du jury à propos de certaines photos, sélectionnées ou non. En visionnant la photo du cercopithèque juste après l’avoir prise, j’ai pensé immédiatement que je tenais quelque chose de spécial. Au fur et à mesure que les présélections étaient dévoilées, il était clair que ce concours était de très haute facture. Obtenir le premier prix est donc un réel honneur.
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Quelques questions subsidiaires :
COW – Où va se dérouler ton prochain voyage ?
BS - Le premier prix d’Afrique Terre de Couleur… Masai Mara pour 12 jours avec Melting Pot Safaris… Et probablement quelques jours aux Aberdares juste avant.
COW – D'où vient ton pseudo Art Vandelay ?
BS - Le premier de notre ‘groupe’ a s’être inscrit sur un forum s’est appelé Kramer (Jean Hupperetz). J’ai suivi avec Art Vandelay… Et Newman ne s’est pas fait attendre… Pour les ‘initiés’ ce sont des personnages de la série SEINFELD dont nous sommes tous fans (malgré son arrêt en 98).
Et encore quelques unes, voyages en Afrique (façon Proust remodelée) :
COW – Ta soirée en brousse la plus intimiste ?
BS - En 1996, dans ce qui s’appelait a l’époque ‘Ngulia Bandas’ à TsavoWest. Adossées à Ngulia Hills avec une vue sur la brousse. Ma compagne et moi avons passé la soirée à écouter les bruits de Tsavo… C’est une soirée qui reste gravée dans ma mémoire.
COW – La rencontre animalière la plus excitante ?
BS - En Afrique, Mademoiselle Caracal à Mara en décembre ’09… Mais suivie de très très près par l’apparition incroyable des lycaons en 95 à Hluhluwe… Dans la brume du soleil couchant… Personne ne s’y attendait, pas de photos valables, mais une incroyable sensation de se retrouver devant des fantômes, des reliques. 15 minutes dans une autre galaxie ! Les 3 premiers tigres à Corbett National Park dans le nord de l’Inde, le jour des 40 ans de Fabrice Sente (Newman sur COW).
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COW – La limite atteinte par ta patience ?
BS - A part les retards d’avions lors de vols de nuit, la limite n’a pas encore été atteinte. Jamais en ce qui concerne des affuts photo, presque jamais en ce qui concerne les soucis administratifs… Si ce n’est à l’encontre de l’Ambassadeur de France à Tananarive… Mon collègue et moi arrivions de Nairobi avec le vol de nuit et à 3 heures du matin, un douanier zélé a décidé que le passeport de mon collègue n’était plus valable et a voulu l’expulser avec le premier vol disponible. En 1998, les citoyens belges étaient dépendants de l’Ambassade de France. Appel sur le numéro d’urgence et Madame nous répond qu’elle ne peut réveiller Son Excellence qui a eu un week-end éreintant à la pêche ! Là, ma limite a été atteinte. Bon, il ne s’est pas déplacé, nous avons passé la nuit au poste de police de l’aéroport avec des illégaux comoriens, mais à 07.30, Son Excellence était là avec des cafés et les laissez-passer nécessaires à notre entrée dans le pays !
COW – Pour terminer : As-tu des projets en perspectives que tu souhaiterais partager avec nous ?
BS - Des projets, il y en a, oui, pas beaucoup mais très prenants et j’espère qu’ils aboutiront. Je ne suis pas de nature superstitieuse, mais je préfère ne pas en parler en détail avant que quelques éléments concrets n’aboutissent. Ils concernent le Kenya évidemment… Et COW sera en première pour toutes ‘breaking news’… Stay tuned !
(1) Crédit photos : Bruno Schmetz
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