le 30 Mai 2009 à 16:15:00 30212 Vues
La huitième interview de Colors Of WildLife est consacrée à un reporter professionnel et photographe animalier.
Laurent Baheux
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Sensibilisé, très jeune, à la protection de l'environnement, il s'emploie à rappeler au travers de ses images : la vulnérabilité du monde sauvage et l'empreinte laissée par l'homme.
Par le biais de son propre regard, il recherche les ambiances entre ombre et lumière, les contre-jour, s’attarde sur les formes, les silhouettes et immortalise des moments éphémères, rares et authentiques.
L'Afrique est avant tout, pour lui, une terre de contrastes.
Le noir et blanc est un choix artistique qui lui permet d'aller à l'essentiel pour saisir ce qu'il veut montrer.
Il a réalisé plusieurs expositions et notamment :
"Terre des lions - Loin des hommes... Et de leur folie!"
"Beau et vital"
Pour en savoir un peu plus : son site.
Nous le remercions, vivement d'avoir accepté de se prêter à cet exercice.
COW - Peux-tu nous présenter ton parcours et ce qui t’a amené à devenir, aux côté du reporter professionnel que tu es, un photographe animalier ?
LB - J'ai commencé la photographie sur le tard, après mes études et mon service militaire. J'étais attiré par le journalisme, en particulier par le métier de rédacteur au sein d'une rédaction couvrant l'actualité sportive. J'ai alors proposé mes services à un quotidien régional près de chez moi. Rapidement, aux besoins de compte rendu d'événements sportifs avec des mots, s'est ajouté le besoin de témoigner en images pour illustrer "le papier". J'ai rapidement pris conscience du pouvoir de l'image qui "vaut mille mots". A partir de ce moment là, mon parcours professionnel s'est alors exclusivement orienté vers la photo. Et comme on l'entend souvent, on photographie bien ce que l'on aime, j'en suis venu naturellement au sport puis à l'Afrique et les animaux qui ont toujours été présent autour de moi lors de mon enfance à la campagne. Mes parents avaient toutes sortes d'animaux, mammifères, oiseaux, poissons...
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COW - "L'école de la photographie sportive" t’a-t-elle servie pour la photographie animalière ?
LB - J'aime bien le mot "d'école" car le sport a vraiment été mon terrain d'apprentissage. Je suis totalement autodidacte et je n'ai jamais fréquenté d'écoles spécialisées en photographie. Le sport avec ses exigences de vigilance, d'anticipation, de réactivité, de rigueur et parfois de résistance a façonné ma manière de travailler et d'aborder la photographie animalière. Une action manquée, un but raté et c'est ton reportage qui est caduque. Je ressens la même chose dans la photographie animalière.
COW - Pourquoi l'Afrique ? Est ce commercialement plus facile à vendre ? Mais surtout que te procurent l’Afrique et sa faune sauvage comme émotions particulières ?
LB - Je n'ai pas choisi l'Afrique pour des raisons commerciales. Ceux qui aujourd'hui choisissent la photographie comme métier, pour espérer se faire beaucoup d'argent, se sont trompés de voie. Dans la photographie, contrairement à certaines idées reçues, il est plus facile d'être célèbre que d'être riche, la notoriété d'un photographe et de son travail ne s'accompagnant pas toujours de la réussite financière. Et si celle-ci arrive parfois, c'est souvent après des décennies d'efforts. C'est un métier passion, pas un métier business. Ce n'est pas ma motivation première car l'essentiel de mes revenus sont aujourd'hui encore issus de mon activité de photographe de sport. L'Afrique et ses grands mammifères ont toujours suscité en moi rêve et fascination. J'ai commencé à m'y rendre il y a plusieurs années après une période professionnelle rude. Ce fut une véritable révélation, au delà de tout ce que j'avais imaginé, même si aujourd'hui elle n'est plus qu'un tout petit aperçu de ce qu'a été la véritable Afrique sauvage, avant l'arrivée de l'homme blanc il y a 150 ans. Je n'ai présenté mes images d'Afrique que bien longtemps après ce premier périple car je n'envisageais pas mon avenir articulé autour de ce sujet.
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COW - Les grands espaces sauvages africains offrent une palette, de couleurs multiples, peux-tu nous expliquer, ton choix artistique et exclusif du noir et blanc, pour les illustrer ?
LB - L'homme voit le monde en couleur, pas seulement l'Afrique. Nous savons tous que le ciel est bleu et l'herbe verte. Ce qui m'intéresse en Afrique en particulier et dans la photo en général c'est principalement de travailler sur les contrastes, les contre-jours, les ombres, bref sur l'action de la lumière sur les matières, sur la manière dont elle agit sur les éléments. Je la vois en noir et blanc, authentique et épurée. Les animaux ne sont pas particulièrement colorés mais possèdent en majorité du relief, du grain, de la texture, du graphisme qui se marient parfaitement avec le noir et blanc. C'est du moins mon point de vue.
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COW - Quel est l'animal pour lequel tu estimes obtenir le meilleur rendu photographique noir et blanc ? Y a-t-il un animal auquel le noir et blanc sied particulièrement bien, ou à l'inverse, y a-t-il un animal, pour lequel cela rend moins bien ? Ou cela dépend essentiellement plutôt de facteurs extérieurs comme les ambiances ?
LB - Le zèbre est peut être une des espèces à qui le noir et blanc sied particulièrement. Le graphisme et le contraste de ses rayures ont une grande esthétique. Mais il serait assez réducteur d'attribuer la qualité d'un rendu aux seuls attributs de l'animal. L'intensité d'un regard, la gravité d'une expression, la spontanéité d'une attitude, l'élégance d'une posture sont autant de facteurs qui valorisent une image et lui donne un peu d'intérêt, en couleur ou en noir et blanc.
COW - Quelle est ta photo noir et blanc réalisée, préfère et pourquoi ? Pas forcément la plus primée, la plus publiée, la plus connue, celle de l'espèce la plus rare, mais plutôt l'élue de ton cœur, celle que tu n'oublieras jamais. Parce qu'elle t’a peut-être donné du fil à retordre. Comment l'as-tu préparée, pressentie ?
LB - C'est une question difficile car la photographie relève toujours de l'émotionnel, tout du moins c'est ainsi que je la vis. Mes photos préférées sont celles que j'ai raté, je veux dire celles que j'ai vu passer devant l'objectif mais que je n'ai pas réussi à capter, soit par manque de réflexe, soit par manque de chance, pas au bon endroit, pas au bon moment, trop près, trop loin, pas la bonne optique... Maintenant, il y a une photo ou plutôt une scène dont j'ai réalisé une image et que je n'oublierais jamais : celle de ce troupeau d'éléphants, avançant paisiblement dans la savane, en plein coeur de Masaï-Mara. Ce fut un moment magique, une composition idéale que je n'osais espérer et qui m'a profondément émue. Je l'ai ressenti comme un fabuleux cadeau de la nature, un présent d'une grande beauté généreusement offert le jour même de mon anniversaire. Jamais je ne pourrai l'oublier...
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COW - La photographie intitulée "hautes herbes" avec les girafes a beaucoup impressionnée une de nos membres, de part la disproportion originale des éléments. Elle aimerait en apprendre d’avantage sur l’histoire de cette photographie. Peux-tu nous la livrer ?
LB - Je cherche souvent à surprendre par le cadrage, la disposition, la posture et cette image en est un exemple. Je l'ai prise alors qu'apparemment il ne se passait rien ou pas grand chose. Seulement ces 3 girafes qui passaient comme on peut en voir souvent. En cherchant quelque chose de plus, j'ai vu les herbes près de moi. J'ai eu l'idée de m'allonger dans l'herbe pour changer mon angle de vision et tenter d'inverser les ordres de grandeur. J'ai réalisé une série de photos sans trop savoir ce que cela donnerait.
COW - As-tu déjà pris un risque pour immortaliser certaines scènes et réaliser LA photo ? Si oui, peux-tu nous en livrer le contexte et les détails ?
LB - C'est une situation que je rencontre rarement car je suis très souvent accompagné de guides locaux aguerris et compétents qui ne prennent pas le risque de te mettre en danger. Il m'est pourtant arrivé une fois d'être chargé par un hippopotame tranquillement installé dans une rivière alors que j'étais à pieds, à quelques mètres du véhicule, et que je voulais le photographier. Il n'a pas apprécié mon insistance à vouloir m'approcher de sa "piscine privée" et a certainement redouté ma présence. Sa vivacité m'a surprise car il est sorti à vive allure. J'ai rapidement détalé, le 600 sur l'épaule, avec la peur de me faire couper en deux !...
COW - Quelle serait la scène animalière que tu rêverais de prendre en photo ? Ta quête du Graal, en quelque sorte ?
LB - Ce n'est pas une scène particulière, mais plutôt une époque : avoir le pouvoir de remonter le temps pour me retrouver au milieu du 19e siècle, au beau milieu de cette Afrique véritable encore vierge de toute "civilisation occidentale". Simplement pour me faire une idée plus juste de ce qu'a été le règne animal à son apogée. Un rêve irréalisable car ce monde a presque entièrement disparu aujourd'hui, sacrifié sur l'hôtel du progrès, et nous ne pouvons en contempler que les derniers restes qui s'évanouiront très bientôt...
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COW - Peux-tu nous en dire un peu plus sur les choix de tes boîtiers, de tes objectifs et les réglages de tes appareils photos (RAW et/ou JPEG, courbes de rendu personnalisées, réglage doux dans l'optique d'un meilleur traitement à posteriori ou réglages pour un rendu proche du résultat final, etc...) ?
LB - Je ne suis pas un fondu de technique, un dingue du matos. Le matériel doit rester un outil. Ceci dit pour l'animalier (comme pour le sport) c'est un peu la course à l'armement et aux gros télés car on est rarement trop près du sujet. Je travaille en NIKON : j'utilise principalement le 300 /2.8 et Le 600 / 4 stabilisé. Côté boitiers, les NIKON D3, D700 et D300 qui sont tous les trois fabuleux.
COW - Quels sont les 5 règles ou conseils que tu pourrais donner aux membres de Colors Of WildLife pour réaliser une bonne photo ?
LB
1. d'être attentifs
2. de se laisser surprendre
3. de laisser s'exprimer leur propre regard photographique plutôt que de chercher à imiter
4. d'aiguiser leur approche en multipliant leur prise de vue
5. de se faire plaisir
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COW - Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton engagement aux côté du WWF (la première organisation de protection de la nature) ? Et nous présenter l’objectif de l’exposition "Beau et vital" à laquelle, tu as assidument contribuée ?
LB - Je suis, comme des milliers d'autres en France, un adhérent classique des causes qu'elle défend. L'exposition BEAU ET VITAL, réalisée en partenariat avec l'ONG, a pour but de sensibiliser le grand public à la beauté, à la fragilité et à la préservation de la biodiversité. Les 47 images que j'ai fourni gracieusement au WWF, sont illustrées de citations de personnalités célèbres dont le thème est la nature. L'union de la photo et du texte doit alerter le spectateur pour le faire réfléchir sur l'immense fragilité des espèces autres que la nôtre. Toutes les espèces sur cette Terre sont en passe d'être exterminées par une seule : l'espèce humaine. Son expansion irraisonnée, croissance démographique, croissance économique pour toujours plus de consommation et sa quête de productivité en fait un danger universel et en conséquence, un danger pour elle-même.
COW - Pour terminer : As-tu des projets en perspectives (livres, expositions en préparation…) que tu souhaiterais partager avec nous ?
LB - J'aimerais beaucoup publier un livre mais je n'ai pas encore trouvé d'éditeur assez audacieux pour tenter l'aventure. J'espère très honnêtement que cela évoluera bientôt. Par ailleurs, l'exposition BEAU ET VITAL doit être présentée dans d'autres lieux que Paris, notamment au festival de Montier. Je fourmille aussi d'idées de reportages, toujours en noir et blanc, et les sources d'inspiration sont nombreuses, c'est le temps qui me manque pour l'instant pour pouvoir les réaliser. Je partirai bientôt au Botswana pour ramener d'autres images de la faune africaine qui, je le souhaite, vous séduiront encore...
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(1) Crédit photo : Phildealm
(2) Crédit photo : Laurent Baheux
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