le 19 Mai 2015 à 01:04:00 17247 Vues
Le 19ème interview de Colors Of WildLife est consacrée à un photographe aux photos toujours très soignées .
Christophe Jobic
Pour en savoir un peu plus : www.jobic.com
Nous le remercions, vivement d'avoir accepté de se prêter à cet exercice.
COW - Christophe, tu es connu sur Colors Of WildLife, sous le pseudo d’Amarula. Membre depuis mars 2011 , on te croise régulièrement sur les pistes du forum… Mais peux-tu nous tracer en quelques mots, ton déclic pour la photographie animalière et de nature ?
CJ - J’ai baigné dans la photo, et notamment la photo de voyages lointains toute mon enfance, et j’ai eu la chance de pouvoir très tôt expérimenter la prise de vue et le tirage. Vers 20 ans j’ai décidé de laisser tomber les études de science pour faire de la photo mon métier… Ce que j’ai fait dans le domaine de la presse et du sport pendant une quinzaine d’années, où la photo représentait mon revenu principal. En prenant petit à petit de nouvelles responsabilités et d’autres fonctions dans mon métier, la photo est redevenue une passion plutôt qu’un boulot. Je parviens à conserver quelques reportages sympathiques à certains moments de l’année. À vrai dire, les photos d’animaux ne me faisaient ni chaud ni froid, et l’Afrique (où je n’avais jamais mis les pieds) ne m’attirait pas du tout… Au contraire, même. Même si j’ai toujours apprécié les documentaires TV sur la faune Africaine, rien ne me prédisposait à venir un jour m’inscrire sur un site communautaire de photos animalières à prédominance africaines ! Jusqu’au jour où je me suis retrouvé en famille à parcourir l’Afrique du Sud en voiture, avec nos premiers self drive dans des réserves : Addo, Pilanesberg, Lion Park. Et crac ! Le virus s’est immédiatement installé… COW m’a permis d’entrer en contact avec d’autres malades, de faire monter ma motivation, de me nourrir des échanges de tuyaux pratiques et d'accroitre mon niveau d’exigence sur mes propres images. Car même si j’étais correctement équipé pour un débutant lors de mes premiers safaris (EOS 1D, 400/2.8, 70-200/2.8, etc) j’avais beaucoup de choses à apprendre et de sacrés progrès à faire !
COW - Quel matos mets-tu dans ton sac photo ? Quel matos aimerais-tu mettre dans ton sac photo ?
CJ - Mes sacs photo débordent systématiquement… C’est mon côté matérialiste : j’aime les bons outils, et pouvoir en disposer au moment voulu.
Cela fait 25 ans que je suis fidèle au système Canon EOS et je dispose aujourd’hui d’une très large gamme d’objectifs et d’accessoires. Pour mes voyages et reportages, je tiens une liste de tout mon matériel à jour et j'adapte une checklist à chaque voyage en fonction des conditions prévues et des images que je veux rapporter. À titre d’exemple, voici une photo de ce que j’avais emporté dans le Delta en 2011.
J’ai abandonné les 7D/5D2 pour n’utiliser que des 1DX/1Ds. Au-delà de la qualité et de la robustesse, ça ne fait gérer qu’un type de batterie et de chargeur. J’accorde beaucoup de temps à la préparation du matériel et à la manière dont je compartimente au mieux mes valises et sacs photo. Et comme il est hors de question de faire voyager le matos en soute, j’abuse largement sur le poids des bagages accompagnés, mais pas sur leur taille, et je favorise le look discret. Mon kit de base tient dans une valise à roulettes Think Tank et se compose du 600mm f/4, du 400mm f/4, de 3 boitiers, du 70-200mm f/2.8 et du 16-35mm f/2.8 comme sur cette photo, où les deux zooms avaient cédé leur place à des flashes et leurs batteries, pour prendre place dans le sac « ordinateur ».
Sur mes deux derniers voyages, j’ai aussi emporté un drone, qui a voyagé en bagage soute sans problème jusque là.
Côté matos, je suis plutôt comblé, mais je dois reconnaitre que les nouveaux 200-400mm f/4 et 11-24mm f/4 me titillent. Il faudra sans doute attendre un prochain gouvernement pour que je puisse investir à nouveau ;) Voyage ou acquisition de nouveau matos, aujourd’hui plus que jamais, il faut choisir… et je préfère voyager !
COW - Concernant les images d’action, est-ce que tu réussis particulièrement ces photos parce que tu as développé une rapidité d'action "naturelle" (de par tes images sportives) ou est-ce plus technique, parce que tu sais anticiper, te positionner et avoir le bon réglage?
CJ - Merci pour le compliment. Je pense en effet que l’habitude de cadrer serrer (c’est ce que j’aime) des actions sportives, rapides et parfois imprévisibles, notamment au gros télé, fait que je suis à l’aise sur ce point. Si j’anticipe, c’est plutôt sur le plan technique : avoir les bons réglages avant l’action et être capable de changer les réglages très rapidement. Cela demande pas mal d’entrainement et une configuration la plus intuitive possible des fonctions personnalisables de son matériel. Cependant, j’ai constaté que l'entrainement se perd assez vite. Il me faut au moins une journée de prise de vue intensive pour reprendre mon boitier (a fortiori ses boitiers) bien en main après une interruption de quelques semaines/mois. Sachant cela, je m’arrange à shooter un sujet (match de foot du club local, concours hippique de CSO, etc) avant un grand départ. Pour l’anticipation du comportement animalier, j’ai une idée du chemin qu’il me reste à parcourir pour mieux gérer cet aspect, mais je crains qu’une seule vie ne me suffise pas ;-). Après, il y’a aussi le facteur chance… mais il faut être prêt juste avant qu’elle ne se présente. Deux décennies de reportages m’ont contraint à une certaine rigueur dans la préparation du matos, inventaire des câbles, chargement préalable des diverses batteries, gestion des cartes mémoires, etc. Des petites choses simples qui évitent les galères sur le terrain et rendent les journées de reportage plus efficaces et plus paisibles, lorsqu’elles sont correctement faites en amont.
COW - Quand tu filmes, est-ce que tu cherches à faire une photo qui s'anime ou bien est-ce que le mouvement t'ouvre d'autres perspectives ? Autrement dit, est-ce que tu filmes en photographe ou est-ce que c'est l'occasion d'élargir ton champ de compétences iconographique ?
CJ - Quand je filme, comme lorsque je fais des photos, j’essaie simplement de partager la beauté d’un sujet, d’une action ou d’un moment. Mais je suis encore un débutant en prise de vue animée ! Par exemple sur les premières séquences que j’ai faites, je coupais l’enregistrement juste à la fin de l’action… Le résultat donnait des plans très courts quasi inexploitables pour un montage. L’habitude de la photo où tout est fini quand « l’action est dans la boite » sans doute. Depuis je me force à laisser tourner plus longtemps. L’image c’est comme la vie, on progresse en zigzag, en essayant de ne pas refaire les mêmes erreurs.
COW - Comment conçois tu dans l'idéal un voyage en Afrique ? Quels sont les paramètres essentiels pour toi pour que ton séjour soit le plus appréciable possible ?
CJ - Tout commence par les préparatifs, l’itinéraire, les vols, les réservations. Je m’en occupe le plus souvent seul et c’est un moment qui fait déjà partie du voyage. Il m’arrive aussi de conseiller d’autres voyageurs qui me sollicitent… ça revient un peu à voyager par procuration. Le paramètre essentiel pour moi est la liberté et l’indépendance, donc plutôt l'autonomie. En vacances, j’aime me dégager des contraintes, surtout lorsqu’il s’agit de se rapprocher de la nature… qui n’a pas pour habitude de s’ennuyer avec les règles des humains. Je favorise donc les endroits où la pression et la densité touristique restent basses, quitte à éviter les saisons « idéales ». J’aime me déplacer en 4x4, en parcourant les pistes au feeling, en pleine brousse. L’idéal serait de pouvoir disposer de mon propre véhicule, équipé de manière pertinente et adapté à mes besoins, tant sur le plan technique que confort à vivre.
COW - Peux-tu nous dévoiler en quelques mots ta logistique en self drive... Véhicule, électricité, nourriture, etc.?
CJ - Je pourrais faire un exposé rien que sur cette réponse :) À part un voyage au Botswana tout en « fly’in safari », j’ai systématiquement loué des 4x4 aménagés camping. Un peu inquiet (je le suis toujours avant un voyage en terre inconnue) au niveau de la conduite dans le sable ou la boue, j’avais fait un stage de conduite 4x4 de deux jours chez Simonin avant notre premier voyage dans le Kalahari éloigné. Une formation rapide très bénéfique qui permet de corriger les erreurs de débutants en expérimentant des situations concrètes et réelles. Sans cette mise au point, je serai sans doute resté tanké dans le sable à plusieurs reprises depuis lors. Que ce soit chez Bushlore ou Kea, les Toyota Land Cruiser sont corrects, mais l’équipement de bord reste très perfectible et souvent trop encombrant pour des photographes (tables, chaises, dinette, bouilloire, etc). La nouvelle branche Avis Safari Rental propose un bien meilleur équipement sur une base de Ford Ranger très confortable et efficace, notamment lorsqu’il y a de grandes liaisons de bitume à parcourir. L’équipement est vraiment super pour dormir, faire la popote, se laver, et les pneus sont de top qualité pour le tout-terrain. Comme pour ce retour d’expérience, je prépare un article sur mon expérience avec le véhicule d’Avis courant juin. Le patron a le sens du commerce et offre d’ailleurs selon la période entre 5% et 10% de remise pour les lecteurs de COW qui le contacteront de ma part (Christophe Jobic, pas Amarula ;)). Le double réservoir (160~180 litres) est très courant et indispensable, mais 1 ou 2 jerricans d’appoint sont bienvenus pour les séjours éloignés (merci Pika pour le dépannage de février ;)). Le frigo est également obligatoire (celui d’Avis est plus grand (90l) avec en plus un compartiment freezer) et je me charge d'une bouteille thermos très agréable pour garder de l’eau fraiche dans l’habitacle malgré la canicule. Dans l’indispensable, j’emporte un téléphone satellite (Iridium) ainsi qu’un GPS chargé des fonds de cartes et infos pratiques communautaires Tracks4Africa. Ma trousse à pharmacie est complète et à jour (check-list) pour parer à tous les maux courants (mais j’ai l’impression qu’on tombe moins malade lorsqu’on fait ce qu’on aime). Elle est répartie dans deux pochettes : l’une semi-rigides pour les médicaments en boites, l’autre est un grand sac ziplock avec les tubes et flacons dans un petit ziplock qui côtoie les pansements, compresses, sparadrap, thermomètre, arrache-tique, pince à épiler, ciseaux, gants stériles, etc. Ensuite pour l’équipement technique quotidien, là encore je voyage avec tout ce qu’il faut. Outils de base (clés, pinces, colliers, tournevis, embouts variés, 3 types de fusibles auto, multimètre…) de quoi faire des réparations de fortune, un peu de câbles électriques, différents adaptateurs pour batterie 12V (pinces, prise DIN et prise allume-cigare) et je dispose de tous les chargeurs nécessaires en 12V. Même pour l’EOS1D ou les Macs, il existe des cordons spécifiques pour allume-cigare. J’ai des petites sacoches dédiées à l’outillage que je conserve complètes et rangées entre mes voyages (voir photo, mais elles ont évolué depuis). J'emporte aussi un convertisseur 12>220 pour « le cas où ». En général, sur le matériel important, je prévois un équipement supplémentaire ou une solution de secours. Pour la nourriture je n’emporte que quelques épices, poivre, sel, poudre à guacamole (ça donne du goût aux pâtes et salades aussi), bouillons kub et kit éponge/liquide vaisselle biodégradable en petite fiole (type shampoing d’hôtel) que je conserve même humide dans un sachet ziplock. Les ziplock (il faut prendre les nouveaux à fermeture à glissière) c’est magique pour tout ranger à l’abri de l’humidité et de la poussière, dans un conditionnement léger, résistant, souple et transparent qui plus est ! J’en emporte au moins 2 boites, tant pour y stocker la nourriture (sèche, déballée ou les restes déjà cuisinés) que pour les accessoires. À part cela, je fais les courses en Afrique du Sud où on trouve dans toutes les villes quasiment tout ce qu’il y a dans les supermarchés occidentaux (attention aux passages de frontière où certaines denrées sont prohibées) et je conserve le ticket de caisse détaillé que j’adapte en check-list de courses d’un voyage sur l’autre. Plein de bidons d’eau (5 litres) et du bois pour le feu complètent les emplettes, sans oublier les briquets et des allume-feu qui sont théoriquement interdits de bagages en soute.
COW - Toi qui apprécies de plus en plus ces moments de plénitude en brousse, n’aurais-tu pas envie de quitter l’Europe pour passer le reste de ta vie dans ce bush que tu sembles tant apprécier ?
CJ - À vrai dire, j’y pense souvent… sans pour autant avoir trouvé un principe de fonctionnement qui permette de tenter l’aventure. Avec ma vie d’occidental, je dois composer avec mon foyer, ma famille, ma maison, mon boulot… et assurer d’éventuels vieux jours. Quitter l’Europe pour la brousse est grand saut qu’il est probablement plus facile de faire à 20 ans sans attache ou à 60 ans en forme et rentier (ou retraité, c’est un peu pareil ;)), que dans la 40aine où je me situe actuellement. Et puis il faudrait que je sois sûr de m’y plaire en permanence… Il faudrait déjà pouvoir tester sur un séjour de plusieurs mois pour en avoir le cœur net !
COW - Quelle a été la scène qui t'as le plus émue au cours de tes périples, même si aucune photo n'a été prise lors de ce moment ? Et pourquoi ?
CJ - Probablement le premier kill d’une troupe de lion auquel j’ai assisté avec mon épouse. Il s’agissait d’une jeune girafe, assaillie par 9 lions dans une concession privée du delta de l’Okavango. Nous étions en night drive hors piste et tout s’est passé à quelques mètres de nous, dans un silence pesant, enveloppé par l'obscurité. Les sons des dents sur les os, les mouvements d’agonie de la girafe, l’excitation des lions… Un grand moment d’émotions paradoxales. L’œil rivé au viseur m’aide à mieux supporter ce genre de scène… qui m’a moins traumatisé que ma compagne. J’ai pu faire quelques images correctes à la seule lumière des phares (mesure spot et balance des blancs sur 3200K) avant que ça ne devienne trop sanglant et qu’on décide de lever le camp.
COW - Tu parles des espèces ou groupes d'espèces qui t'intéressent le plus ; qu'est-ce qui te fascines chez celles-ci en particulier ? Est-ce leur beauté, leur biologie, leur rareté… ?
CJ - Ce n’est pas très original, mon animal favori est le léopard. Je préfère d’ailleurs les femelles que je trouve mieux proportionnées et plus jolies (chez les humains aussi, d’ailleurs !) Le fait qu’il soit difficile à débusquer rajoute un peu de piquant et de plaisir lorsqu’on le trouve… Ce qui reste trop rare à mon gout. Pas un seul individu lors de mes 3 derniers voyages. J’apprécie leur comportement solitaire et autonome… En entrant dans la psychologie de comptoir, et si on oublie le 4x4 et les 120kg de matériel, il n’est pas exclu qu’il m'inspire dans ma façon d’aborder le safari !
COW - Tu as déjà de sacrées shots et espèces à ton actif, y a-t-il un animal ou un lieu, ou encore une situation qui te fasse rêver et que tu aimerais immortaliser ?
CJ - J’apprécie plus particulièrement les mammifères, et je prends (presque) autant de plaisir à sortir une belle photo d’un lion ou d’un Impala. Certaines espèces touchent plus le public que d’autres, et je sais qu’en rapportant une belle photo d’un guépard, l’enthousiasme sera plus important qu’avec un code à croissant lorsque je montrerai mes images. Le but de ma démarche photographique étant le partage, ça oriente certainement mes choix et ma motivation à me concentrer sur certains sujets. D’un autre côté, je n’ai aucun objectif de rentabilité ou de production lors des safaris, ce qui me permet de prendre tous les sujets tels qu’ils se présentent, en profitant de ces instants de vie au naturel. À la base les oiseaux ne attiraient pas beaucoup, mais ce sont des sujets qui peuvent occuper certains temps calmes côté mammifères, et pour lesquels mon intérêt croit à mesure que je m’y intéresse.
COW - Pourrais-tu envisager un voyage animalier sans faire de photos? Et si non, pourquoi ?
CJ - La photo est pour moi un prétexte et un but à la fois. Un prétexte, car j’aime les faire, un but, car j’aime les partager… Je pourrais me retrouver en safari sans matériel photo et prendre le même plaisir à errer sur les pistes à chercher les animaux (car c’est bien ce que je préfère dans cette activité), mais je serais frustré de ne pas pouvoir rapporter d’images, et sans doute moins motivé aussi pour me lever bien avant le soleil pour profiter de la meilleure lumière !
COW - Quelles sont les destinations que tu envisages dans un proche avenir ?
CJ - J’aimerais retourner dans le Kalahari où je me sens bien, mais aussi étendre ma zone de découverte vers Ethosha, le Central et les Makgadikgadi. J’envisage de retourner à Mana Pools et plus haut en Zambie, et je compte bien un jour fouler les réserves phare de l’Afrique de l’Est (Ruaha, Selous, Tsavo, Serengeti, Mara…). Bref n’importe où en Afrique sauvage ! Sinon, le Grand Nord m’attire également… Bref entre les endroits où j’ai envie de retourner et ceux que j’ai envie de découvrir, j’ai de quoi faire des plans de voyage pour une centaine d’années minimum ! L’été prochain, nous serons au Sri Lanka en famille. L’animalier ne sera pas au cœur du trip, mais j’espère faire quelques belles rencontres avec des léopards d’Asie, dont la population est annoncée comme très dense dans certaines réserves.
COW - As-tu déjà mixé tes 2 passions (vélo+photo nature ou vélo+Afrique)
CJ - L’Afrique du Sud a organisé plusieurs Coupes du Monde et Championnats du Monde de VTT, que j’ai eu le plaisir de pouvoir couvrir pour le boulot… en allongeant chaque séjour pour quelques jours de safari. Cela m’est arrivé en Amérique du Nord avec la visite hivernale du Yellowstone également. Pour l’instant j’ai juste réussi à coupler et enchainer ces deux activités, sans les réunir ensemble. Je ne suis pas certain que cela me plaise cependant. Faire des photos à vélo est contraignant : il faut s’arrêter, sortir le matériel, puis le ranger et repartir à chaque prise de vue. Il y a par contre à Mashatu dans le Tulli Block (Botswana S/E limite Afrique du Sud) une organisation qui propose des safaris itinérants de quelques jours à VTT avec campements et intendance pris en charge. Le niveau technique et physique est accessible au plus grand nombre, et je tenterais bien l’expérience, quitte à voyager léger en matériel photo.
COW - Que penses-tu de l'utilisation des drones en photographie animalière et de leur avenir ?
CJ - Pour l’avoir un peu expérimenté, je ne considère pas le drone comme un appareil de photo animalière, mais plus comme un outil permettant d’obtenir des points de vue nouveaux pour des images d’ambiance et de paysage. En vidéo, le petit engin a également des facultés incroyables pour les pannings et travellings fluides. Dans l’usage, je rapproche la prise de vue avec drone de celle à bord d'un ballon à air chaud. Les drones roulants tels que la Beetle Cam des Burrard Lucas sont très intéressants pour les points de vue contre-plongeants et les perspectives larges… avec le risque de les voir se transformer en baballe à mâchouiller pour de jeunes lions intrépides. Dans les deux cas, il est clair que même s’ils ne fuient pas systématiquement, les animaux ne sont pas indifférents aux appareils radio-commandés lorsqu’ils entrent dans leur périmètre de confort. Mais qu’en était-il avec les voitures dans les réserves il y a 50 ans ? Suite à des comportements de touristes peu scrupuleux, les Parcs Nationaux sud-africains (et des USA) ont banni l’utilisation des drones. Comme toujours, je crois qu’une utilisation responsable est indispensable pour le pas dégrader l’environnement, ne pas déranger la faune et les visiteurs, et ne pas aboutir à des interdictions brutales, totalitaires et généralisées.
COW - En France, photographies-tu ? Si oui, seul ou en famille ? Tu es plus billebaude ou plus affût (fixe, flottant) ?
CJ - En France et en dehors des prises de vue pour le boulot, les seules photos que je fais régulièrement sont avec mon iPhone et publiées sur Instagram. Il m’arrive de sortir le matos et les tromblons pour certaines compétitions sportives de mes fils, ou pour des demandes d’amis (mariages, sport, etc). Je ne fais pas de photos animalières en France, principalement par manque de temps, mais aussi parce que les sujets et les espaces naturels de chez nous m’inspirent moins que ceux d’Afrique…
COW - Est-ce que l’on t’a déjà proposé d'animer des stages photos ou de guider des safaris ?
CJ - J’ai déjà eu plusieurs demandes de stages de formation en prise de vue et en développement, mais je n’ai encore pas pu prendre le temps de préparer une trame et un déroulé indispensable. Concernant les voyages, même si je ne suis pas attiré par les voyages organisés, j’envisage complètement de gérer et d’accompagner des petits groupes. Plus jeune, j’avais accompagné pendant trois étés des groupes de trekers dans les Alpes, autour du Mont-Blanc et en Vanoise notamment. J’ai proposé en ce sens mes services à Hervé Foulon d’Objectif Nature lors du dernier salon de la photo. Il m’a positivement ajouté à sa liste de photographes accompagnants et cela devrait déboucher sur quelque chose en 2016. Je fais murir des idées d’innovation sur ce secteur, que je compte lui exposer prochainement…
COW - Peux-tu nous en dire plus sur tes images de Panthère des Neiges ? Où ? Quand ? Comment ? On veut tout savoir.
CJ - Le fantôme de l’Himalaya est un animal mythique. Tenter de l’apercevoir dans son milieu naturel nécessite un grand investissement temps, énergie, finance, et sans aucune garantie de succès. Les « Samapi » viennent de partager cette expérience avec nous. Un investissement que je ne suis pas encore prêt à faire, d’autant qu’à part la présence de cet animal, les pentes escarpées du toit du monde ne m’attirent pas particulièrement. Pour faire ces photos, j’avais profité d’un passage dans le Montana pour m’arrêter chez des spécialistes qui élèvent des animaux (nés en captivité) pour les besoins cinématographiques. La neige venait de tomber dans le nord des USA et, dans un très beau cadre naturel, j’ai pu faire de chouettes photos d’une panthère des neiges, d’un bobcat, d’un tigre, d’un jeune puma et de loups. Cependant, même si de telles conditions de proximité et d’action sont quasiment impossibles à rencontrer dans la nature, ces prises de vue n’ont pas du tout la saveur des photos d’espèces sauvages… Ça se rapproche plus de la chasse à la « gallinette centrée », et je ne renouvellerai pas l’expérience. Les affuts d’animaux appâtés ne m’attirent guère plus, et je crois que je préfère en définitive l’observation naturelle sans interaction.
COW - Quelle est ton approche de la question sur les espèces en captivité?
CJ - La question est aussi épineuse que complexe… Et il est bien difficile d’y répondre de manière générale. Disons que je suis fondamentalement contre le principe de privation de liberté, qu’elle soit animale ou humaine (ce qui est semblable). La captivité peut s’envisager dans le but de soigner ou protéger des espèces… Mais il devient parfois difficile, voire impossible, de remettre dans la nature des animaux nés en captivité (pour les hommes, c’est pareil aussi !). Il faudrait étudier les cas un par un, pour juger du bien-fondé du maintien en captivité des individus en question en fonction de leur histoire. Tant que le bien-être mental et physique des animaux passe avant les considérations économiques des exploitants, je ne me sens pas de mener une croisade éthique. Si le zoo de Vincennes que nous avons connu dans notre enfance était une catastrophe, le zoo de Beauval (que j’ai visité avec mes enfants et sans appareil photo) me semble un peu plus respectueux, à part pour certains grands félins qui font quand même peine à voir à tourner en rond dans leurs enclos. Disons que pour le côté éducatif des plus jeunes sur la faune, je pense qu'un bon documentaire animalier vaut beaucoup mieux qu’une visite de zoo.
COW - Est-ce que tu tentes parfois ta chance dans des concours ?
CJ - Pour la première fois cette année, j’ai fait la démarche pour quelques concours (Gateway, Festival de l’Oiseau, Nature’s Best, BBC et il me reste quelques jours pour participer à Montier). Je ne considère pas les concours comme des compétitions puisqu’ils ne sont basés sur aucun critère de mesure objectif. Il faut qu’une image plaise à un jury hétéroclite en fonction de ses aspirations du moment, de ses goûts et des autres images engagées… Nous avons pu vu des photos dont la nomination au « Grand Prix » était tout à fait contestable ces dernières années, à la limite des débats sur l’art contemporain quelques fois. J’ai eu le plaisir de voir plusieurs images franchir des présélections (Nature’s Best, Gateway, BBC) et cela me fait déjà très plaisir. Je n’ai aucun espoir concret d’aller plus haut, en dehors du « on ne sait jamais », comme si je jouais à la loterie. Sélectionner et envoyer des photos demande un travail critique de tri qui est long, voire fastidieux, mais nécessaire, intéressant et que je suis content d’avoir fait. Je pense enfin qu’une distinction dans un grand concours peut ouvrir des portes à son auteur ! Un conseil est de bien lire les règlements pour s’assurer que les organisateurs ne s’attribuent pas des droits sur nos images dont ils ne sont pas censés disposer gratuitement. A fortiori lorsqu’il y’a en plus des frais d’engagement, ou sur des images qui ne seraient même pas primées.
COW - As-tu des projets tels que des livres ou des expos ?
CJ - Non, rien de ce côté pour le moment. Je suis déjà baigné dans l’édition tous les jours et je sais comme cela est compliqué. Je préfère passer mon temps libre à voyager et à faire des photos. Pour une expo, je ne me sens pas encore prêt pour présenter une série cohérente et suffisamment typée. Il y a des centaines de photographes en France qui font des images de faune africaine de très grande qualité. Ce qui est plus difficile c’est d’arriver à obtenir une sorte d’unité ou de marque de fabrique dans sa production.
COW - As-tu d’autres talents cachés ? Tu écris ? tu dessines ?
CJ - Je n’excelle dans aucune discipline, soit-elle artistique, technique ou sportive, et encore moins culinaire malgré ce qu'a gentiment laissé entendre Vahiné ;-) Mais j’aime toucher à tout et je constate que les bases de beaucoup d’activités sont le plus souvent accessibles à tous, sans prédisposition particulière. Si je devais admettre ou m'attribuer un talent particulier, ça serait éventuellement d’être moyen dans plusieurs domaines diversifiés et d’essayer de m’appuyer sur ces acquis variés. Disons que je fonctionne en autodidacte à la motivation, et que lorsque j’ai envie ou besoin d’une compétence, je travaille, apprends ou progresse jusqu’à obtenir satisfaction. Si on prend l’exemple de nos admins Simba et JP ; ils ont (entre autres) des compétences en photo, en informatique et en relations sociales. Beaucoup d’autres gens ont au moins une de ces trois capacités individuellement, mais eux les ont mises en commun, et ça a donné l’excellent site sur lequel nous prenons plaisir à nous rassembler. C’est également sur ce principe que j’essaye d’avancer dans la vie. Merci à eux pour cette gestion de Colors of Wildlife au quotidien et d’avoir eu la gentillesse de me proposer cette interview, et bravo à vous qui avez tenu jusqu'au bout de la lecture ! Je suis à votre disposition si certaines de mes réponses entrainent d’autres questions.
À bientôt dans le bush :-)
(1) Crédit photos : Christophe Jobic
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