par JP le 20 Novembre 2014 à 16:20:00 15610 Vues
La 18ème interview de Colors Of WildLife est consacrée à une photographe qui s'attache à l'évolution des familles de félins tel que les léopards de Sabi Sand, les lions du Mara ou les tigres en Inde.
Agnès Escriva
Pour en savoir un peu plus : www.agnesescriva.com
Nous la remercions, vivement d'avoir accepté de se prêter à cet exercice.
COW - Agnès, tu es connue sur Colors Of WildLife, sous le pseudo d’Ombrette. Membre depuis le 15 Mars 2008 , on te croise régulièrement sur les pistes du forum… Mais peux-tu nous tracer en quelques lignes, ton déclic pour la photographie animalière et de nature ?
AE - Petite j'aimais déjà photographier les vaches, les chiens et les chats dans le village auvergnat dans lequel je passais mes vacances. A 19 ans, j'ai accompagné ma mère lors de mon premier safari au Kenya. J'en garde un souvenir extraordinaire. C'est à cette occasion que j'ai pu faire mes premiers essais avec un appareil reflex. Mais c'est en 2005 que le vrai déclic a eu lieu, lors de la découverte de la Zambie. Depuis le virus de l'Afrique et de la photographie animalière ne m'a plus quitté.
COW - Tu as eu la chance d'aller en Afrique avant l'avènement du tourisme des grands nombres. Quelles sont tes impressions concernant les changements par rapport à ce que tu as vu/vécu il y a 25 ans ?
AE - C'est un peu vague, mais je me souviens de Tsavo et de ses terres ocres où nous étions seuls dans ces immenses étendues peuplées d'éléphants qui chargeaient les voitures dès qu'on s'approchaient, car ils étaient peu habitués à ces « drôles d'animaux » que nous étions. Amboseli et le célèbre Kilimandjaro avec ses neiges éternelles presque disparues aujourd'hui. Et Masaï Mara avec sa grande faune d'une richesse incroyable : beaucoup de lions, d'éléphants, de rhinocéros et de guépards bien plus nombreux à l'époque qu'aujourd'hui.
COW - Tu as vécu énormément de voyages animaliers. Y a-t-il une ou deux situations qui t'aient particulièrement marquée (par leur rareté, leur émotion, leur tendresse, leur dureté…) ?
AE - L'approche à pied d'un groupe de lions, dans le parc du South Luangwa en Zambie, m'a particulièrement marquée. Nous suivions leurs traces depuis deux heures lorsque nous avons aperçu leurs crinières dans les hautes herbes. Nous étions en file indienne encadrés par un garde armé en début de cortège et notre guide à sa queue. Nous avions comme consigne de ne pas bouger, même si les lions nous avaient chargés... Heureusement ce ne fut pas le cas : dès qu'ils nous ont vus, ils se sont éloignés dans le bush. Ce fut un moment d'une émotion rare, mêlée de frayeur et d'excitation. Un grand soulagement également que les gardes n'aient pas à se servir de leurs armes, j'en aurais été malade... Toujours en Zambie, dans les marais de Bangweulu, la rencontre rêvée avec une espèce que j'avais découvert dans les livres, le bec en sabot. Ce voyage fut une quête bien récompensée... Cet oiseau vit encore dans quelques endroits d'Afrique aujourd'hui. Seul représentant de son espèce, aux mœurs assez méconnues, le bec en sabot est rare, menacé de disparition, timide, difficile à observer dans son milieu naturel. Grand échassier gris (1m20) ainsi nommé à cause de son bec aussi gros que sa tête, terminé par un crochet, il se nourrit de poissons, de grenouilles et autres escargots. Il niche à même le sol et pond deux œufs par an. Ses petits naissent en octobre et volent en décembre. L'approche difficile se fait en bateau, puis à pied dans les marais, sur des lits de végétation flottante. L'herbe est coupante et les sangsues nombreuses. Par chance nous en avons vus beaucoup, et j'ai pu, en jouant avec l'un d'eux à « un deux trois soleil » l'approcher à moins de deux mètres. Je l'ai vu perché en haut d'un buisson, pêcher et voler. Notre patience et notre détermination furent bien récompensées. J'ai vécu là un grand moment de bonheur et d'excitation.
COW - Quelles sont tes 2 ou 3 plus grandes "fiertés photographiques?"
AE - « Karula et l'oiseau » : une célèbre léoparde de Sabi Sand que j'ai eu la chance de photographier alors qu'elle avait attrapé un « black smith plover ». Elle ne l'a finalement pas tué et l'a laissé partir. « Mangouste naine au coucher du soleil » : cette image toute simple, prise à Sabi Sand, m'a valu le premier prix à un concours de la Fédération photographique de France. « Serval mangeant un serpent » : une image récente d'une scène rare. Ce serval déambulait dans la savane, lorsqu'il bondit soudain sur quelque chose que je n'ai pas tout de suite identifié. Il s'agissait en fait d'un boomslang, un serpent extrêmement venimeux. Il l'a mangé rapidement en prenant bien soin d'éviter sa tête.
COW - Que rêverais-tu de voir que tu n'aies déjà vu ?
AE - Mon rêve absolu serait de pouvoir observer (et de les photographier...) de tout petits léopards. De tous les voyages que j'ai fait, le plus jeune que j'ai pu voir devait avoir 5 mois. Le léopard étant un animal très secret il cache souvent sa progéniture dans des anfractuosités rocheuses, pour la protéger des prédateurs, nombreux dans la nature. Les petits bien dressés ne bougent pas de leur cachette quand leur mère part à la chasse. Il est donc très rare de pouvoir les observer.
COW - La photographie animalière et de nature un moyen pédagogique efficace pour protéger la nature". Qu’en penses-tu ?
AE - En effet je crois que l'avenir de notre planète bien malmenée par les hommes, passe par l'information aux adultes et l'éducation des enfants. La photographie est un merveilleux vecteur d'émotions et j'espère qu'elle permettra à bon nombre d'entre nous de prendre conscience de la beauté et de la fragilité du monde sauvage, et de la nécessité de le protéger.
COW - Comment définirais-tu ton style photographique ? Quel est ton fil conducteur en quelque sorte ?
AE - Ce sont les émotions qui me guident dans mon approche photographique. Je ne sais pas si j'ai « un style » mais je suis très sensible aux belles lumières du matin ou du soir, aux ambiances d'orage ou de pluie, de poussière ou de brume, aux magnifiques paysages de savane, de lac, de forêt ou de montagne. Le côté naturaliste indispensable en photographie animalière, est né de l'observation des animaux, du fait de retourner dans les mêmes endroits. Je me suis attachée aux individus que j'ai rencontré et que je revois. J'ai envie d'en savoir plus sur leur histoire, leur caractère, leur mode de vie. De 2006 à 2012, je me suis intéressée aux léopards en Afrique du Sud. Depuis 2009 je suis un fameux clan de lions dans la réserve de Masaï Mara, les lions du Marais. Depuis quelques années, je me rends en Inde pour l'observation de ce magnifique prédateur qu'est le tigre.
COW - Pourquoi "Leo, portraits" ? Pourquoi choisir spécifiquement le léopard ?
AE - Le léopard est l'animal le plus secret, le plus fort et le plus adaptable des forêts et savanes africaines. Pour moi c'est aussi le plus beau. Il n'est pas facile de croiser son chemin. J'ai eu la chance d'aller en Afrique du Sud dans les réserves privées de Sabi Sand et Timbavati à de multiples reprises. Leur biotope et le fait de pouvoir y faire du hors-piste, en font des lieux idéaux pour l'observation de ce magnifique animal. J'y ai rencontré pas mal d'individus entre 2006 et 2012 ; les rangers m'ont raconté leurs histoires et j'ai naturellement eu envie de partager cela à travers ce livre qui me tenait très à cœur.
COW - Puisque le léopard semble être ton sujet de prédilection, n'aurais-tu pas en projet d'aller les observer ailleurs qu'en Afrique, dans un autre environnement que la savane (forêt tropicale, de mousson ou tempérée, désert, montagne ect...) ?
AE - Non je n'y ai jamais pensé... Car j'ai d'autres sujets de prédilection comme les lions du Marais et les tigres en Inde.
COW - As-tu des projets en perspectives (exposition…) que tu souhaiterais partager avec nous ?
AE - J'ai le projet d'une exposition sur... les léopards. En novembre à Montier, sous le chapiteau, sur le stand de l'agence Naturimages vous pourrez en voir 4 ou 5 images. L'exposition complète sera présentée au Festival Coeur de France et dans une galerie à Paris.
COW - Où va se dérouler ton prochain voyage ?
AE - Au Kenya à Noël, où j'accompagne un petit groupe d'amis : quelques jours au lac Magadi puis une semaine à Mara. Timbavati en Afrique du Sud est prévue également mais plus tard, pour y présenter mon livre.
COW - Ta soirée en brousse la plus intimiste ?
AE - Heu.... ça c'est très indiscret ! ;) Non je rigole ! C'est plutôt une nuit au Botswana, où nous avons été réveillées Mother et moi par un grand mâle éléphant qui se frottait à la toile de tente. Il était si proche de nous que nous l'entendions respirer. Nous avons vu son énorme défense se frotter à la moustiquaire de la fenêtre. Un réveil inoubliable.
COW - Ton paysage le plus renversant ?
AE - Un paysage de bush à Sabi Sand, lorsque le soleil s'est levé sur une mer de brume l'inondant d'une lumière dorée.
COW - Le son de la savane que tu préfères ?
AE - Le son rauque d'un léopard la nuit qui appelle un congénère, moteur et phares éteints.
COW - Et un dernier mot pour « Mother » ton duo voyageur ?
AE - Elle est le meilleur compagnon de voyage qui soit. Elle est toujours partante. Je l'aime.
(1) Crédit photos : Agnès Escriva
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