Et puis un jour à midi, je rencontre mon premier « Big Tusker ». (De « tusk », défense en anglais).
C'est à la jumelle que je le découvre d'abord, très loin dans le lit de la rivière.
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Ces gros porteurs d’ivoire, qui parcouraient l’Afrique par centaines il a encore un siècle, sont maintenant devenus des survivants, recensés, surveillés, protégés. Il existe une page dédiée aux « Big Tuskers » sur le site internet du parc Kruger, et les plus gros portent un nom. Dans tout le parc, on n’en compte pas plus d’une douzaine.
A force de massacres, le gène des longues défenses a fini par se raréfier, et on arrive à des aberrations comme à Addo Elephant Park, près de Port-Elizabeth, où certaines femelles naissent sans défenses, car la population d’éléphants là-bas a été reconstituée à partir d’un tout petit groupe de survivants après des décennies de chasse intensive.
« Mon » Big Tusker
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La lumière n’est pas bonne, mais monsieur a émergé du bush à la mi-journée, il fallait faire avec
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Et si jamais on avait un doute sur sa virilité… lorsqu'il remonte la berge pour traverser devant nous
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J’ai envoyé sa photo à la page dédiée de SANParks, qui m’ont aimablement remercié et répondu qu’il était connu et suivi, mais pas encore nommé. Trop jeune. Je lui aurais bien donné mon nom
, mais la tradition veut que les Big Tuskers reçoivent un nom en langue locale, le sipedi ou le tswana selon la région du parc...
En tous cas, le big one a disparu dans le bush, et nous laisse les yeux écarquillés tandis que nous poursuivons dans la poussière de la piste.
Une oie d’Egypte qui joue la vigie
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Un impala qui pose pour un portait…
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J’ai gardé pour la fin quelques photos que j’aime pour le souvenir… Un après-midi, sur la rive opposée de la Shingwedzi River, je suis tombé sur un troupeau d’une soixantaine de buffles. Un moment impressionnant, même si ces gros bovidés noirs sont parfois peu photogéniques, et qu’il est difficile de les mettre en valeur.
Ici, j’ai essayé de jouer avec les formes du troupeau et les images renvoyées par la rivière…
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Voilà, je referme (provisoirement) ce carnet sur ce reflet, dernière vision que j’emporte de ce séjour à Shingwedzi.
Merci à tous de m’avoir suivi et de vos commentaires.
Je n’ai pas cherché à « survendre » le Kruger. J’espère seulement en avoir restitué l’ambiance. Ce carnet ne postule pas au titre de carnet de l’année, il y manque des lions, des léopards, et surtout de l’action.
Quand je vois les images que certains ramènent de Masaï Mara, avec une scène de prédation par jour de séjour, je sais qu’on est dans une autre forme de rencontre au Kruger. D’ailleurs regardez bien les sites des photographes pro : l’immense majorité des scènes de chasse sont photographiées en Afrique de l’Est.
Mais le Kruger est un parc où l’on est heureux si l’on aime les ambiances forestières, si l’on sait prendre son temps, et si on a le plaisir de l’affût prolongé, ou de la recherche et de la découverte, souvent par hasard, d’animaux qui surgissent sans prévenir au détour de la route ou de la piste.
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Lorsque je suis seul en voiture ou avec un autre photographe, j’ai comme principe de rester avec mes sujets le plus longtemps possible. De ne repartir que lorsqu’ils décident eux-mêmes de me quitter. C’est une façon pour moi de me glisser dans le rythme de la vie sauvage, qui n’a pas la même notion du temps que nous.
Pour s’assurer une bonne moisson de léopards en 48 heures chrono, il y a les parcs privés qui jouxtent le Kruger… (Cf le début de ce carnet). Je l’ai rarement fait, parce qu’avec le budget de mes dix jours de Kruger, ça ne paye qu’une nuit en parc privé, mais ça vaut aussi le coup. C’est un autre genre de plaisir…
Veinard que je suis, j’ai déjà le projet de retourner au Kruger en décembre, dans quelques semaines, pour dix jours en solitaire. Ca donnera peut-être une suite à ce carnet, ou carrément un autre. On verra bien…